La gastronomie française
1 Germain Bourré & Julie Rothhahn, Design & Culinaire, une culture en mouvement. Menufretin ed., 2022
2 Définitions : gastronomie - Dictionnaire de français Larousse.” Larousse, https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/gastronomie/36240
Le repas gastronomique des Français
ARTICLE 1
Diagnostic
La gastronomie, entre idéalisation et réalité
Il est de notoriété publique que la gastronomie française est l’une des plus riches et des plus raffinées. Le repas gastronomique des Français, entré au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO en 2010, est la preuve que la pratique de la cuisine française est plus que jamais importante dans notre société. De la mer à la campagne, en passant par nos montagnes, la richesse des spécialités gastronomiques françaises est indiscutable. Les traditions ainsi que les coutumes sont profondément ancrées, les savoir-faire et leurs secrets traversent les générations et font de la gastronomie un des piliers de la culture des Français. L’art de vivre à la Française en est plus que jamais imprégné et les repas rythment nos journées. D’ailleurs, notre pays est souvent associé à notre gastronomie par les étrangers, qui mettent facilement la France sur un piédestal au vu de sa réputation culinaire. Et ils ont en partie raison, car nombreux sont les chefs du monde entier à venir suivre une formation au pays du bœuf bourguignon.
Mais attention, cette perception de la gastronomie pourrait laisser penser que notre cuisine est élitiste, sophistiquée et coûteuse, ce qui ne reflète pas avec justesse la réalité et ne définit certainement pas la gastronomie. Un entretien réalisé avec Pierre Sanner1, directeur de la Mission française du patrimoine et des cultures alimentaires (MFPCA), permet de saisir la définition du mot gastronomie par le sens donné au repas gastronomique des Français inscrit depuis 2010 à L’UNESCO. Bien sûr, dans la gastronomie, il y a la cuisine des grands chefs étoilés, très raffinée et réservée à une élite sociale et/ou économique. Cependant, c’est une vision restrictive de la gastronomie, qui est définie par le Larousse comme : “connaissance de tout ce qui se rapporte à la cuisine, à l'ordonnancement des repas, à l'art de déguster et d'apprécier les mets”2. La gastronomie, c’est donc l’art de la bonne chair, du plaisir de bien manger, de consommer des produits de qualité accompagnés, mais pas nécessairement, d’un bon vin. C’est une nourriture préparée avec attention, avec amour, et qui fait appel à de nombreux sens par sa saveur, sa consistance, son odeur, mais aussi sa présentation, sa mise en scène. C’est vraiment tout ce qui va nous permettre de déguster et d’apprécier les mets, et pour cela, nul besoin nécessairement d’un grand chef et d’un restaurant prestigieux. La gastronomie est accessible à tout, elle peut faire partie de notre quotidien, elle peut être simple ou élaborée. Elle peut, pourquoi pas, prendre la forme d’un délicieux morceau de fromage sur une bonne tranche de pain accompagné d’un bon verre de vin rouge, dégustés avec des amis sur un plaid à carreaux au milieu d’un champ verdoyant !
De plus, le fait de s’alimenter chez les êtres humains ne se limite pas à répondre à un besoin vital, il englobe également une pratique du repas, un sentiment de convivialité et de sociabilité. En effet, le repas gastronomique français est une forme d'art populaire, qui célèbre le partage et la convivialité. C’est un moment d’attention à l’autre et de convivialité qui sont des piliers du bien vivre ensemble, en société. Cependant, dans nos sociétés actuelles, nos attitudes envers la cuisine et l'alimentation évoluent vers une préoccupation croissante pour la quête de commodité, menaçant ainsi d'appauvrir notre relation à la gastronomie.
Qu’en est-il alors de l’alimentation des Français au quotidien ? Peut-on encore parler de gastronomie lorsqu’on se penche sur les habitudes des Français ?
Des modes de consommation rapides pour une société toujours plus frénétique
Une étude de l’INSEE3 réalisée en 2012 nous montre qu’en 2010, l’alimentation occupait chaque jour 2 h 22 en moyenne de la journée d’un Français. Cette pratique du repas est, en effet, très institutionnalisée, 3 repas par jour rythment nos journées et ces repas sont pris plus ou moins au même moment, par tout le monde.
Bien que le bilan global de la gastronomie en France soit plutôt positif, certaines données contrastent avec cette image édifiée du repas gastronomique des Français.
Il est intéressant de se pencher sur le phénomène des repas préparés. En France, une période charnière dans l’histoire de ceux-ci est celle des années 1970, où les femmes ont mené un combat pour parvenir à l'égalité des sexes, et en exigeant ont été de plus en plus nombreuses à aller travailler en dehors du foyer. Les repas préparés ont facilité cette émancipation en allégeant la charge de travail liée à la cuisine, offrant alors aux femmes la possibilité de consacrer davantage d'énergie à d'autres facettes de leur vie, telles que leur carrière. L'industrie alimentaire s'est alors engouffrée dans cette brèche en proposant des plats préparés qui permettent aux nouvelles femmes actives de gagner du temps.
De plus, à partir des années 80 et jusqu'à aujourd'hui, la société contemporaine est soumise à une accélération sans précédent de nos modes de vie, ce qui fait apparaître des modes de consommation alternatifs. En effet, le style de vie effréné, dans les zones urbaines en particulier, ainsi que les temps de mobilités rendent aujourd'hui nécessaire le fait de pouvoir se restaurer en dehors du domicile.
L'essor de produits “prêts-à-manger" découle de cette évolution. Associé à ce mode de consommation du “tout prêt”, il va de soi de parler des fast-foods, largement répandus à l'échelle mondiale aujourd’hui. Le fast-food a gagné en popularité en France dans les années 1970 avec l'arrivée de chaînes internationales comme McDonald's, influencées par la culture américaine. Selon un graphique de Statista4, nous pouvons observer que les enseignes de McDonald's étaient au nombre de 1 226 en 2011, pour passer à 1 515 en 2021. La définition de la restauration rapide que nous donne Wikipédia formule assez clairement la réussite de ce type de structure : “La restauration rapide est un mode de restauration dont le but est de faire gagner du temps au client en lui permettant de consommer rapidement les plats commandés ou de les emporter, et ce, pour un prix généralement moindre que dans la restauration traditionnelle. Cela a été initialement créé pour que les travailleurs puissent prendre de la nourriture plus rapidement et avoir le temps de manger pendant leur travail.”5.
Ces produits tout préparés offrent donc aux consommateurs la possibilité d'accéder à un repas rapidement et sans effort. Comme le démontre une étude en partie commandée par le ministère de l'Agriculture et de l’Agroalimentaire, ils répondent à la nécessité de mobilité induite par un mode de vie de plus en plus nomade, auquel la restauration à l'extérieur répond. De plus, en considérant que les fast-foods font aujourd’hui partie de la gastronomie française, l’une des principales ambitions de ses consommateurs, avec la rapidité, est celle de la recherche du plaisir immédiat, du goût. La recherche du goût étant essentielle, n’est-elle pas aujourd’hui trop centrale dans nos habitudes alimentaires ? En étant à la recherche du plaisir gustatif, ne laisse-t-on pas de côté des valeurs essentielles et fondatrices de la définition de la gastronomie ?
Qu’il s’agisse de la cuisine dite “d'assemblage" (qui consiste à créer un repas avec des éléments déjà prêts), des enseignes de restauration rapide, les éléments et ingrédients utilisés pour faire ces produits sont bien souvent de piètre qualité, voire néfastes pour la santé. En parallèle, toujours d’après l’étude de l’INSEE6 réalisée en 2012, entre 1986 et 2010, le temps quotidien moyen consacré à faire la cuisine s’est réduit de 18 min en métropole, passant alors de 1 h 11 à 53 min par jour.
Mais cette étude nous montre également que, malgré les plats préparés et les fast-foods, la tradition des 3 repas quotidiens, souvent partagés avec d’autres, a survécu, même si le contenu des assiettes en a un peu souffert.
Cette tendance des plats tout préparés a donc fait évoluer nos préférences vers des choix alimentaires plus rapides et moins exigeants en termes de préparation et cette évolution questionne nos pratiques du repas. En effet, par ce phénomène social, le moment du repas peut être davantage perçu comme une nécessité pratique et parfois individualiste plutôt qu'un moment social et convivial. L'importance portée à la socialisation autour de la table citée précédemment semble par conséquent être mise en péril par ces nouvelles tendances alimentaires. L'importance de s’inscrire dans une habitude tend à se perdre dans la vie quotidienne moderne.
Ces dernières années, nous avons tout de même assisté à un phénomène intéressant avec la pandémie du coronavirus qui a engendré un engouement pour une alimentation “faite maison” et logiquement plus saine. Un article publié par Santé Publique France7 montre que les Français, ayant à disposition beaucoup plus de temps libre, confinement oblige, ont retrouvé le goût de se mettre aux fourneaux. Et depuis, ces habitudes ont tendance à perdurer. De plus, les frustrations dues à la pandémie ont été adoucies par les moments passés autour d’un repas. Ceux-ci dépassent largement la simple satisfaction de s’alimenter, mais représentent une véritable source de bonheur, de connexion et de réconfort, palliant la situation angoissante à laquelle nous faisions face.

3 Ricroch, Layla, “Le temps de l’alimentation en France.” Insee.
4 “Restaurants McDonald's en France.” Statista
5 “Restauration rapide” Wikipédia
6 Ricroch, Layla, “Le temps de l’alimentation en France.” Insee, 2012
7 “Confinement : quelles conséquences sur les habitudes alimentaires ?” Santé publique France, 2020
Mise à mal du repas et semi-gastronomie
Avec les produits préparés, nous faisons aujourd’hui également face à une standardisation de l’alimentation dans les grandes surfaces. Comme souligné dans un article du gouvernement français dans la catégorie vie publique8, “Les Français et leur culture alimentaire : approche historique”, “les supermarchés ont conquis le territoire et sont devenus les principaux lieux d’achat des denrées alimentaires. On peut y voir une standardisation et une uniformisation des modes de consommation, mais ils offrent une large gamme de produits à l’ensemble de la population. ”. Partout, en France, vous pourrez trouver des cassoulets du sud-ouest, des tartes flambées d’Alsace ou encore des galettes de Bretagne, déjà préconçues ou alors sous forme de produits dits d’assemblage. Cette facilité, à avoir accès à des plats de différentes régions est une richesse. Peut-on néanmoins encore parler de gastronomie ?
Pour revenir à une définition de la gastronomie, elle consiste à cuisiner des produits de qualité, frais et travaillés avec des techniques de cuisine précises. La gastronomie est, et sera toujours, à la recherche du goût : “La quête du vrai goût des aliments”9. Avoir la possibilité de goûter ou de reproduire des mets gastronomiques préconçus en fait-il des produits de la gastronomie, ou bien au contraire, la mettent-ils en péril ? Ne perd-on pas une partie de la culture gastronomique française ?
En effet, la gastronomie et la cuisine française valorisent le respect des traditions, de la transmission ainsi que de son aspect festif à travers des rituels. Le repas, qui répondait jadis à des rituels avec des pratiques et des conventions bien définies concernant la posture, le service, la manière de manger, et ainsi de suite, offraient une symbolique et une signification profonde à l'acte de se nourrir. Cependant, sont-ils en train de disparaître dans nos sociétés modernes ?
Une tarte flambée alsacienne, a-t-elle la même saveur si elle est préparée avec des fonds de tartes industriels, une garniture pré-faite, des oignons pré-émincés sortis du congélateur et des lardons en boite, et enfin mangée de façon individuelle devant la télévision ? Ce goût plus ou moins éloigné, la façon de déguster ce mets, n’est-il pas tout compte fait un écrasement de la gastronomie ?

8 Rambourg, Patrick. “Les Français et leur culture alimentaire : approche historique.” Vie publique, 2019
9 Ibid. Rambourg, Patrick. “Les Français et leur culture alimentaire : approche historique.” Vie publique, 2019
Dans les champs du design, plusieurs projets permettent de se rendre compte de la notion de gastronomie dans une dimension conviviale, chaleureuse, sociale et éthique et qui concernent des enjeux liés au repas. Il me paraît opportun d’en analyser certains, afin d’y déceler certaines informations cruciales dans le cadre de ma recherche.
Analyses de projets
Tous les projets présentés n’ont pas pour vocation une sensibilisation pure, angle par lequel il me paraît porteur de m’intéresser dans cette partie d’analyse. Mon ambition, à travers celle-ci, est de déterminer comment impliquer un public et comment le faire participer à des événements d’ordre culinaire, afin de déceler en quoi cette participation peut être enrichissante ou au contraire problématique.
Les projets sont présentés sous forme décroissante, allant de modèles que je considère comme simple et commun en terme scénographique jusqu’à ceux qui s’inscrivent dans des champs plus exceptionnels. Tous les projets exposés prennent différentes formes, autant dans leur communication que leur mise en espace.
Aussi, il paraît opportun dans ce travail d’observer la position accordée au public dans les différents projets : convives, spectateurs ou encore explorateurs et de se pencher sur la limite parfois fine entre ateliers, spectacle et exposition.
• Le Circulinaire, Slow food X Collectif RTT10

10 “Circulinaire.” Plateforme Social Design.
Ce projet a été créé par Slow food (une organisation internationale reposant sur un réseau local d’associations fondé en 1989 en réponse au phénomène du fast-food et de la "fast-life", et en réaction à la disparition des traditions alimentaires locales) et le collectif ETC (agence de design axée sur des projets de biens communs).
Le Circulinaire est un projet de cuisine mobile qui peut prendre place dans n’importe quel lieu comme un parc, une école... Il prend la forme d'un mobilier conçu pour être monté et démonté aisément et permet d’intégrer un espace de cuisine, avec des assises, dans un espace public, offrant ainsi aux personnes une expérience interactive et confortable pour déguster les préparations. Le principe de l’atelier est le suivant : un animateur sélectionne un légume ou un fruit et prépare avec un repas alléchant. “Le spectacle” est accessible à toutes les personnes qui passent durant la présentation et sont invitées à participer à la production du repas ainsi qu’à le goûter. L’ambition de ce projet est de faire cuisiner aux participants de bons produits pour qu’ils y prennent du plaisir et aient envie de continuer au quotidien.
Deux points me paraissent intéressants à analyser dans ce projet.
Dans un premier temps, le projet donne à voir par sa dimension théâtrale. Les personnes sont amenées à participer à l’événement avec une posture de spectateurs dans un premier temps, de convives dans un second et potentiellement d’acteur dans un troisième, s’ils décident de passer aux fourneaux. Ce changement de posture est intéressant, car évolutif, mais ne permet pas en mon sens une sensibilisation. Laisser la possibilité au public de choisir sa propre part de contribution au projet implique que le protagoniste du projet n’a pas choisi précisément les objectifs attendus de son événement.
Dans un second temps, le fait de disposer une cuisine dans un environnement non-domestique est intrigant et pose question dans une démarche événementielle et de design d’exposition. Changez un objet, la cuisine en ce cas, de son environnement naturel fait-il réagir le public de la même façon que s’il avait été disposé à participer à cet événement dans un cadre classique ? Le but est de sensibiliser au fait de manger des aliments sains et locaux, le faire à l'extérieur de chez soi, accompagné de spécialistes, n'inclut-il pas un imaginaire (positif) plus important que lorsque le public se retrouve chez lui fasse à 3 carottes et un poireau sont il ne sait que faire ? Il est intéressant de réfléchir sur ce sens à la médiation autour du projet que cela implique. De plus, l’atelier est conçu de façon à ce que le repas soit faite dans l’immédiat, ce qui n'inclut pas une partie fondamentale qui est celle de se procurer les ingrédients pour concevoir le repas.

• Food Temple Végétal, Alimentation Générale11

© Food Temple Végétal, Alimentation Générale, 2023
11 “Food Temple Végétal.” Alimentation Générale, 2023
Alimentation Générale est une agence de conseil spécialisée dans le domaine de l’alimentation, de l’agriculture et de la gastronomie, qui a pour conviction qu’une approche globale de l’alimentation est essentielle. Elle se positionne comme une plateforme dédiée aux cultures du goût, apportant une réflexion sur diverses études et projets. Depuis 2017, Alimentation Générale est en charge du commissariat culinaire ainsi que de la production d’un festival culinaire de rentrée, le Food Temple.
Le food Temple convie chefs, artisans, producteurs et jeunes marques engagés à partager la richesse de leurs cultures culinaires lors d'un festival étalé sur trois jours. Cette année, le festival traite du végétal et permet de le découvrir sous différentes formes. L’événement est composé de différents espaces. La première est celle des masterclass, des cours de cuisine en direct, au prix de 15 € la séance, donnée par des chefs étoilés ou tout simplement passionnés. Différents stands où résident des traiteurs et des chefs se tiennent le long des parois. Des stands d’indépendants montrent et expliquent les bienfaits de leurs produits locaux sont également présents ainsi que des ateliers de création de tisanes ou encore de sensibilisation à l’odorat. Pour finir, différents stands proposent également des lectures, avec des livres de cuisine, des éditions plus rares ou encore des livres sur les plantes. L’entrée est gratuite, mais ce festival propose des activités pour la majeure partie payantes.
En somme, ce festival propose une approche variée de comment le végétal peut prendre forme dans une cuisine ou plus largement dans un quotidien. Le public amené à fréquenter l’événement concerne les adultes, aussi bien les jeunes que les plus âgés.
La forme de cet événement permet une immersion dans un espace très professionnel, au cœur des métiers de bouche et des chefs. Il est l’occasion pour les visiteurs de regarder et de toucher de très près un secteur peu accessible, en ayant accès aux cuisines, aux savoir-faire et aux paroles de personnes pour qui la gastronomie ou certains produits n’ont aucun secret. Tout de même, ce type d’événements décline d’une façon différente la notion de participation. Elle n’implique à aucun moment que le visiteur s’engage dans une forme de participation, il peut rester dans une position d’observateur. Le fait est que ce sont les visiteurs qui doivent engager le premier pas vers les activités proposées et non l’inverse, contrairement à une exposition ou un atelier éphémère qui est conçu pour le public. C’est un événement qui apporte autant aux chefs et aux traiteurs qu’aux visiteurs, un événement qui bénéficie aux deux partis.
https://www.bra-tendances-restauration.co
Manger à l’oeil, MUCEM, Alimentation Générale12

12 “Exposition Manger à l'oeil.” Alimentation Générale, 2018

Proposé par le MUCEM et mise en place par Alimentation Générale. L’enjeu de cette exposition est de montrer l’évolution du repas gastronomique des Français, classé au patrimoine de l’UNESCO depuis 2010, ainsi que le rapport à l’alimentation du peuple français, le plaisir culinaire ainsi que les pratiques de tables. Tout cela à travers l’évolution de la photographie de 1823 à nos jours.
Dans cette exposition, l’ambition est de rendre le Patrimoine Culturel Immatériel du Repas Gastronomique des Français tangible grâce au médium de la photographie, qui plus que l’écrit, « nous permet de rendre compte des constantes et des ruptures de cet héritage en évolution ». La pratique du repas des Français est exposée à travers différents clichés selon les différentes époques (à peu près 200 ans de photographies), accompagnée d’éléments comme des journaux et programmes télévisés. Toutes les introductions des différents espaces se font avec un cartel explicatif du contexte sociétal de la période ainsi que le rapport à l’alimentation de cette époque ; il était suivi de photographies révélatrices d’un temps passé, d’annotations, de vidéos ainsi que des représentations de mobiliers, mini « period room ». L’ambition, par la représentation de pratiques et de moments de vie, est également celle d’une potentielle identification pour le public.
Cette exposition, grâce à la photographie, a permis de remettre en image les époques ainsi que les coutumes, les croyances et des rituels autour des repas que de la nourriture à proprement parler. Cette reconstitution a donné lieu à un voyage dans le temps et une réelle médiation qui n'implique aucune participation du public, alors spectateur de celle-ci. Dans un objectif de retranscription, de souvenirs et d’archives, il semble que le parti-pris fort de n’inclure aucune forme d'activité ou de participation du public fait sens. La participation implique souvent une simplification pour permettre un accès à l’activité, qui en ce cas ne peut être représentatif de la richesse des clichés exposés dans l’exposition. L’histoire du repas des Français à travers le temps est représentée de façon sensible grâce à un médium noble qui en dit plus que n’importe quelle médiation interactive. Comme pourrait l’être un repas traditionnel, simple, bon, savoureux, qui se suffit à lui-même, sans fioritures.
• La Nouvelle Carte, Julie Rothhahn13

13 “La Nouvelle Carte.” Julie Rothhahn, 2014
Julie Rothhahn, que j'ai découverte grâce à l’ouvrage Design & Culinaire publié avec Germain Bourré, est une designer formée dans Master Design & Culinaire de l’École d’Art et Design de Reims dont elle est aujourd’hui coordinatrice. Curieuse, elle dissèque les aliments pour en identifier chaque saveur et en exprimer les sens, ouvrir d’autres possibles de l’alimentation et du goût, ce qui lui permet de créer des projets qui favorisent l’évasion.
Le projet La Nouvelle Carte est réalisé en 2014 au Manège de Reims, qui est un théâtre vivant. Ce projet est une exploration culinaire qui prend la forme d’un spectacle de 70 minutes et permet au public de déambuler dans un espace mystérieux et brumeux. “Vous êtes-vous déjà imaginé explorateur, arpentant des paysages à manger ? Une expérience à vivre de la façon la plus concrète du monde…” Les spectateurs sont acteurs du spectacle. Grâce à une carte, ils sont amenés à se déplacer sur scène et découvrir les différentes îles flottantes que proposent Julie Rothhahn. Dans ce projet, différents lieux comme la forêt, la plage, les cascades sont représentés par des mets culinaires travaillés : gelée orange et phosphorescente, mousse de pomme de terre, gelée de poulet à faire fondre, etc. Chaque île, représentée par des tables, possède une forme, une couleur, et des objets différents et le tout est accompagné de design sonore.
La designer Julie Rothhahn met en place une scénographie très poussée dans sa forme autant que dans son contenu. Il est intéressant dans ce projet, dont l’ambition n’est nullement d’inciter les gens à préparer à manger, mais d’éveiller la curiosité, de voir comment la participation intervient. Imaginé comme un spectacle participatif, le public est spectateur, mais aussi explorateurs de l’univers. Dans une exposition située dans un théâtre où il est coutume de se taire et de rester assis, le fait de proposer au public de de toucher, même de manger est inattendu.
Conclusion
Ces projets regroupent tout un ensemble de pratiques qui participent à la transmission de la gastronomie, de ses savoir-faire, de ses techniques et sensibilisent aux valeurs de celle-ci. La notion de participation diffère en fonction des formes prises par ceux-ci et paraît questionnable selon les informations, valeurs et souvenirs que l'on veut transmettre.
Dans le projet du Circulinaire qui porte sur l’alimentation et la pratique de la cuisine, et dont l’ambition est de sensibiliser aux questions au bon mode de s’alimenter, la participation et la pratique est partie intégrante du projet. Au sein de celui du Food temple festival, les produits prennent eux aussi une place très importante, voire principale. Les personnes goûtent, apprennent des savoirs faire culinaire, découvrent certains produits et/ou professionnels des métiers de bouche. Selon moi, ces deux projets font appel à une forte participation et ils ont pour point commun de mettre le produit, l’alimentation au sens premier de son terme, plus que le rituel du repas.
Le projet de Julie Rothhahn, propose un travail beaucoup plus axé sur la scénographie, qui permet de raconter une histoire autour de la nourriture. Ce projet inclut également une notion de participation, et permet l’appropriation de l’espace scénique par les spectateurs ainsi que de la notion de gastronomie. Au contraire, l’exposition Manger à l'œil, est pensée de façon à faire découvrir le repas sous un autre angle que celui de la dégustation ou encore de la pratique. Les dispositifs et la mise en espace de médiums permettent eux aussi le récit, mais font savourer aux visiteurs des informations sans même avoir à ouvrir la bouche.
En tant que designer événementiel, je trouve intéressant de voir comment le lien parfois fin entre participation et scénographie permet de parler de sujets autour du repas, des valeurs qui y sont associées ainsi que de cette pratique sociale en général, pilier de notre société.